La bonne habitude de se bénir les uns les autres. (édito du 9 oct. 2022)

     Pourquoi les pauvres et les marginaux sont-ils en général plus reconnaissants que les nantis et ceux qui ont de grandes fortunes ? L’expérience de tous les jours mais aussi des études très sérieuses le prouvent : dans les sociétés de bien-être on éprouve bien plus de difficulté à donner ou à dire merci que dans les milieux défavorisés.      

L’histoire des lépreux de Luc 17 le montre bien. Ils sont dix (10), nous dit l’évangéliste ; les neuf sont juifs de sang et de religion ; un seul, le dernier est de Samarie. Ce qui lie ces hommes c’est une situation épouvantable qu’ils vivent douloureusement, même s’ils semblent sereins ; ils ont été chassés de chez eux, bannis de la société et condamnés à vivoter et à mourir comme des « intouchables ». « En temps de paix », comme on dit, leurs chemins ne se seraient jamais croisés, mais en tant que lépreux, ils savent qu’ils n’ont plus rien à convoiter ni rien à espérer de la société des hommes. Pourquoi donc devraient-ils prendre part à des querelles et inimitiés qui n’ont plus de sens pour eux et qui de toute façon ne feraient que leur compliquer la vie ? L’intérêt pour eux, n’est-ce pas de faire équipe, comme compagnons d’infortune ? Ils ont donc saisi cette chance et n’ont pas été déçus, loin de là. « Ni juif, ni samaritain, tous frères, tous solidaires ! ».  En se portant et en se bénissant les uns les autres, ils ont trouvé des forces pour tenir, marcher et croire, avec la grâce de Dieu, qu’ils peuvent avoir eux aussi un avenir.       

Il faut imaginer la scène de la rencontre de ces lépreux avec le Christ. C’est ensemble que les lépreux s’avancent et vont à la rencontre du Christ, dit l’évangéliste ; respectueux des règles, ils s’arrêtent à distance, font entendre leur prière commune. Quoique de religion et de nationalité différentes, ils reconnaissent le Christ comme leur « maître » à tous, et un maître dont ils attendent une nouvelle vie, tout simplement, sans se préoccuper de savoir à quoi elle ressemblera : « Jésus, maître, prends pitié de nous », c’est la supplique qu’ils portent dans leur cœur et qu’ils expriment spontanément et à voix haute.         

Ce qui est difficilement compréhensible et même choquant dans cette histoire, c’est qu’après avoir demandé et obtenu une faveur exceptionnelle, une grâce immense et incommensurable, ces lépreux ne soient pas revenus tous ensemble dire merci au Christ, avec la même foi et la même ferveur qu’au moment où ils imploraient sa pitié. Seul le samaritain y a pensé. Pour lui en fait qu’importe de rencontrer ou pas, mille prêtres, sadducéens ou légistes, il sait à qui il doit sa guérison. Les « anciens lépreux juifs » préférant se réjouir d’être rétabli dans leur statut et dignité de « fils de la promesse » et ne supportant donc plus de faire route avec un samaritain, ont disparu dans la nature. Ont-ils été étourdis, ou pris dans le tourbillon d’une fête ce en leur honneur, ou encore ont-ils simplement réagi comme des nantis, comme nous à certains moments, en âmes peu reconnaissantes et en fossoyeurs de Communauté ? En effet, il est des moments où nous aussi, nous avons de la peine à admettre que nous ne serions pas celui que nous sommes sans l’aide et la contribution des autres, et alors nous nous mettons à prendre tout pour un dû, à appeler « coup de chance » ce qui nous paraissait d’évidence comme une bénédiction de Dieu, tout juste pour n’être redevables à personne et parce qu’au fond nous manquons de générosité ?     

Prendre soin de notre Communauté, ne l’oublions jamais, c’est prendre aussi l’habitude de reconnaître le bien que fait l’autre, de se bénir les uns les autres, par des gestes et des paroles de bienveillance ; c’est accepter humblement les signes de reconnaissance qui nous viennent des autres, mais c’est aussi savoir en donner chaque fois que des frères ou des sœurs nous ont fait du bien et que cela leur a coûté. Dans un monde où on se croit plus éveillé et plus intelligent en dénigrant les autres, une des plus grandes grâces à demander au Christ n’est-ce pas celle-là, d’être toujours dans la gratitude envers Celui à qui nous devons tout et sans qui nos vies tombent en ruine.

Ab. Michel

Ab. Michel

Author: Olivier Bruna