Ennemis de la Croix

Pour avoir part à sa résurrection, le Christ notre Seigneur invite chacun d’entre nous, dès le début du Carême, à se charger de sa Croix et à le suivre. La Croix est en effet, le passage obligé sur le chemin qui mène vers Pâques. Les chrétiens l’ayant très tôt compris, sont passés assez rapidement du dégoût à la vénération de la Croix. Et ceux qui nous ont fait, ou nous font encore aujourd’hui de mauvais procès là-dessus, savent très bien que la Croix, comme morceau de bois ou de fer, n’a jamais été objet d’adoration pour nous. Celui que nous contemplons, parce qu’il est Rédempteur et Sauveur, c’est le Christ, le Christ crucifié. « Notre seule fierté, c’est la Croix du Christ » Gal. 6, 14, la Croix comme réalité historique et abaissement-humiliation, mais surtout, comme autel sur lequel le Christ a effacé le péché du monde et nous a donné la Vie.    

Nous aimons la Croix, parce qu’elle constitue à elle seule un condensé de la notre foi et parce qu’elle nous permet d’exprimer notre confiance et d’afficher notre appartenance au Christ.: Chez les chrétiens la Croix est partout présente : dans les chapelles, les églises et les cimetières ; c’est d’elle qu’on se signe avant toute prière, on la porte autour du cou, au poignet ou comme pendant d’oreille ;  elle est à l’entrée des maisons, sur les linteaux des portes, au-dessus des lits ou encore  sur les chemins, les carrefours, jusqu’aux sommets des collines et des montagnes. En somme il n’est pas de chrétien qui ne sache que, aimer le Christ c’est aimer la Croix. Ce Carême que nous vivons nous le rappelle très opportunément : la Croix est au cœur de la vie et du témoignage chrétien : « J’ai été crucifié avec le Christ, et si maintenant je vis, ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi ». Gal. 2, 19    

Et pourtant il n’empêche : le « Messie crucifié » n’est pas « scandale pour les juifs et folie pour les païens » uniquement (cf. 1Co.1, 23), il l’est souvent pour nous aujourd’hui encore. Autrement dit, il nous arrive à nous chrétiens, de nous conduire sans le savoir peut-être, comme certains parmi les Philippiens, ceux précisément que St. Paul qualifie d’« ennemis de la Croix du Christ » (cf. 2ème lecture du dimanche II, carême an. c). Combien de fois en effet, tombons-nous dans ce piège du démon, qui consiste à « voiler la Croix » (supplice horrible et inacceptable pour le Fils de Dieu !), comme jadis déjà, certains membres de la Communauté de Corinthe le faisaient, pour pensaient-ils, ne pas rebuter les nombreux sympathisants, catéchumènes et néophytes qui venaient s’adjoindre à la Communauté chrétienne ?    

Ennemis de la Croix du Christ, St. Paul lui-même reconnait en avoir été un, et de la manière certainement la plus cruelle, avant d’être foudroyé par le Christ sur le chemin de Damas : « Je suis Jésus, celui que tu persécutes » Ac. 9, 5. Si lui Paul, qui finit par confesser « pour moi vivre c’est le Christ » cf. Ph. 1, 20, prend la peine et dans les larmes, de mettre en garde les Philippiens, « ma joie et ma couronne » dit-il, contre des ennemis de la Croix, c’est pour leur éviter de tomber dans l’illusion qui était la sienne, celle de se croire « en Dieu » alors qu’on a le cœur aux choses de la terre. Aujourd’hui et tout au long de ce Carême, le Malin, ennemi irréductible du Christ, nous soumettra à la même tentation. Il cherchera sans se lasser à nous faire croire que la Croix ce sont les douleurs innocentes et toutes les souffrances des justes dans le monde, que la foi dans la croix ne serait qu’une manière de pactiser avec l’injustice, et donc qu’il vaut mieux secourir les malheureux d’Ukraine plutôt que de jeûner et de prier.      

Non ce n’est pas la souffrance des innocents qui rend la Croix inacceptable, mais plutôt le refus de la Croix qui fait perdre le sens de la crainte de Dieu, qui endurcit les cœurs et fabrique toutes sortes de monstres.

Ab. Michel

Author: Olivier Bruna